HowTo: Obtenir d'une administration l'accès à un code source

Je vais vous raconter, sous la forme d’un tutoriel, comment j’ai demandé et obtenu – au bout d’à peine 1 an et 8 mois, le premier code source qu’une administration accepte de fournir à un citoyen qui en fait la demande (comme la loi l’y oblige). Le premier d’une longue série, j’en suis sûr !

Le contexte

Si vous lisez cette publication uniquement pour reproduire la démarche fructueuse qui conduit l’administration à libérer un code source vous pouvez passer à l’étape 1 ; si vous n’êtes pas pressé-e, je vais vous expliquer comment j’en suis arrivé à requérir un code source.
Étudiant l’économie et sachant un peu coder, j’ai fait un stage de deux mois au Secrétariat Général de Modernisation de l’Action Publique, à la mission Etalab, chargée entre autre de développer OpenFisca, un (super bon) logiciel de microsimulation de l’ensemble du système socio-fiscal français (on peut calculer ses impôts, cotisations sociales et prestations sociales, simuler une réforme de l’impôt, etc.). J’avais la fastidieuse tâche de retranscrire en code informatique la législation sur les niches fiscales de l’impôt sur les revenus. Et croyez-moi, il y en a un paquet, avec plein de subtilités alambiquées et d’ambiguïtés que je n’osais pas trancher moi-même (et oui, le législateur ne définit pas les formules fiscales par du code informatique ou le langage mathématique, mais par des phrases obscures).
À ce moment-là, en grand adepte du principe de moindre effort, je me suis dit que c’était quand même assez absurde de recoder entièrement la législation fiscale, alors que ce code existe déjà : il faut bien que nos impôts soient calculés quelque part ! En cherchant un peu, j’ai trouvé quelqu’un qui avait l’air de pouvoir m’aider, à la Direction Générale des Finances Publiques – ce sont eux qui calculent nos impôts. Quelle ne fut pas ma surprise quand j’ai découvert que cette personne était à l’étage au-dessus du mien à Bercy, j’ai même cru un instant que je pourrais obtenir le code source dans la semaine et finir de coder toutes les niches fiscales avant la fin du stage !

1. La demande gracieuse

C’est le moment où j’étais encore pétri d’un aplomb innocent, persuadé qu’il n’y aurait pas d’obstacle majeur à l’accès au code source dont j’avais besoin, je le rappelle, pour aider le travail d’une administration. Je pris donc ma plus belle plume et adressai une demande polie à la personne repérée, pour obtenir le code source du logiciel qui calcule l’impôt sur les revenus.
Attendez-vous à une réponse au bout de 5 jours, qui vous renvoie vers un autre service, lequel ne vous répond pas, etc. Ayant la chance d’être dans le même bâtiment que la personne à laquelle je m’adressais, j’ai quand même pu appuyer ma demande gracieuse d’une visite inopinée. Laquelle s’est soldée sur la conclusion : il faut en référer à un supérieur hiérarchique commun (effectivement, l’histoire a fini par être tranchée par Michel Sapin, ministre des finances). Mais ne vous inquiétez pas, vous êtes dans votre droit : c’est le début d’une démarche longue (à moins que vous ne tombiez sur une administration ouverte et conciliante) mais certaine pour obtenir le code source. Début du chronomètre.

2. La saisine CADA

N’attendez pas 6 mois, comme moi, que les différents services vous répondent : l’usage dans l’administration, c’est de ne pas prendre de décision (le chef pourrait ne pas être content), donc vous n’allez certainement pas essuyer de refus de la part de l’administration à qui vous demandez le code source : au fond, personne ne s’oppose au fait de vous donner le code source, mais personne ne va se bouger pour votre cause non plus. Donc, deux mois après votre demande gracieuse, il faut saisir la Commission d’Accès aux Documents Administratifs. En fait, je ne fais que répéter ce qui est dit sur leur site : la CADA est votre amie, elle vous aide dans votre quête du code source, en émettant un avis favorable à sa divulgation. Car tout citoyen a droit d’accès aux documents administratifs, dont les codes source produits par l’administration, sauf atteinte à la sûreté de l’État ou à la vie privée. Comptez un ou deux mois.

3. Demande motivée par l’avis favorable de la CADA

L’administration pouvait être récalcitrante parce qu’elle n’était pas sûre du caractère juridiquement fondé de votre demande ; maintenant que c’est le cas, elle ne devrait plus s’opposer à vous communiquer le code source demandé. Elle a alors un mois pour s’exécuter. En tous cas, j’espère que la brèche que j’ai ouverte avec le logiciel qui calcule l’impôt sur les revenus va bousculer l’habitude de l’administration de freiner des quatre fers pour transmettre ses trésors.

4. La requête au Tribunal Administratif

Là encore, pas la peine de perdre du temps à se dire qu’ils sont débordés, qu’ils vont sûrement vous envoyer ce code source bientôt, « après tout ils ont prévu une réunion en interne pour discuter de ce sujet »… Ça ne vous coûtera pas grand chose de déposer une requête au tribunal administratif pour faire valoir votre droit (une enveloppe et quelques timbres : la justice n’aime pas trop les mails, ça manque de solennité, vous comprenez. N’oubliez pas de tout imprimer en trois ou quatre exemplaires, sinon vous allez avoir des petits problèmes pour faire parvenir à temps les pièces du dossier quand vous aurez pris des vacances à l’autre bout du monde). J’ai commencé les poursuites judiciaires en mai 2015, et je n’ai toujours pas eu de date d’audience en février 2016, donc là encore, il ne faut pas être pressé. Quand vous aurez à rédiger la réponse du mémoire en défense de l’administration attaquée (qui sortira des arguments vaseux à base de directive européenne hors sujet), ne vous laissez pas impressionner par la technicité du jargon et ne dépensez pas une fortune pour qu’un avocat vous épaule : vous pouvez commencer à rédiger la réponse vous-mêmes et demander de l’aide à la communauté des libristes, comme Frédéric Couchet pour ne citer que lui. Ce forum est précisément fait pour vous être utile dans ce genre de situation.

5. L’heureuse conclusion

J’espère que vous n’aurez pas à aller jusqu’à l’étape 4, puisque les effets de l’étape 5 devraient bénéficier à toutes les futures démarches similaires.
Cette histoire de code source du logiciel de l’IR commençait à faire parler d’elle au moment où Axelle Lemaire présentait une loi sur le numérique à l’Assemblée nationale. Un amendement qui réaffirmait le droit d’accès aux codes source des administration (en en faisant explicitement des documents administratifs comme les autres), plébiscité lors de la consultation citoyenne en ligne, a été adopté fin janvier : trois jours plus tard, je recevais un mail du Directeur du Système d’Information de Bercy pour qu’il me transmette le fameux code source. Comme quoi, avec une habile coalition de citoyens, fonctionnaires, journalistes, juristes et libristes, on arrive à nos fins… en moins de deux ans !

Comme pour parachever ce succès, le tribunal administratif a finalement confirmé que ma requête était fondée en prononçant la décision suivante, le 18 février 2016 (affaire 1508951) :

Sens des conclusions et moyens ou causes retenus :
Annulation de la décision implicite par laquelle M. Fabre s’est vu refuser la communication du code source d’un logiciel de simulation de l’impôt sur le revenu des personnes physiques. Injonction au ministre des finances et des comptes publics de communiquer, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement à intervenir, le code source en cause, dans sa version la plus récente.

En espérant que cet épisode facilitera les démarches à venir, je vous souhaite les plus courts délais pour obtenir ce à quoi vous avez droit, et retourne vaquer.

Post scriptum

Où puis-je voir ce satané code source dont vous n’arrêtez pas de me parler, me direz-vous ?

Etalab le mettra en ligne bientôt : je préfère que cela soit fait en concertation avec Bercy plutôt que de le publier sur un dépôt dès maintenant (même si, légalement, rien ne m’y oblige) ! Mais si vous y tenez vraiment, faites-le moi savoir, je pourrais vous l’envoyer.

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Voila une aventure intéressante. Espérons que le processus va devenir plus simple et surtout plus transparent.
Avez-vous la moindre idée de la licence qui sera appliquée à terme sur le code source lors de sa publication?

La licence choisie par la DGFiP pour le calculateur impôts est la licence CeCILL version 2.1.

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Serait-il possible d’avoir copie de la décision du tribunal administratif du 18 février 2016 ? Ca serait utile et c’est aussi un document administratif librement diffusable :slightly_smiling:

Le hackathon est annoncé ici :

Et sur le forum :

Bonjour,

nous avons mis le jugement en ligne : http://www.april.org/sites/default/files/20160216-jugement-tribunal-administratif-demande-communication-code-source-impots.pdf

Voir également notre actu sur le sujet : http://www.april.org/le-tribunal-administratif-valide-lavis-de-la-cada-les-codes-sources-sont-des-documents-administratif

Librement,
Fred

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Bonjour,

une « annonce » d’un gouvernement qui va rendre Open Sources une partie des logiciels

Pour info, voici le dossier de mon procès avec la DGFiP : https://drive.google.com/folderview?id=0B-zvhSa5kc09Vlo0cW1kVnFKNGs&usp=sharing
et le fameux code source : https://github.com/GouvernementFR/calculette-impots-m-source-code
@eraviart : je n’arrive pas à modifier mon texte initial (je voulais remplacer le PS par ce commentaire)

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