Toolbox ou plateforme étatique ?

La question vise à comprendre clairement la stratégie et les objectifs d’Etalab, les attentes des contributeurs de ce forum et les attentes supposées des citoyens (en se basant sur les retours forcément limités dont on peut disposer à ce jour) - et vérifier qu’il y a bien convergence :slight_smile:

Pour moi l’approche toolbox vise à capitaliser sur l’existant et aider à son amélioration. Elle se concentrerait logiquement sur des outils de participation citoyenne open source à vocation de bien commun (Demodyne, Communecter…) en poussant leur expérimentation sur le terrain, en créant un cadre juridique pour leur fonctionnement (protection des données personnelles, transparence des algorithmes etc.) et en mettant en place des systèmes connexes renforçant la sécurité (ex: élargissement de l’application de France Connect)

L’approche de plateforme étatique « from scratch » peut sembler séduisante sur le papier mais je vois plusieurs écueils:

  • une réinvention probable de la roue
  • la nécessité de mettre un vrai budget et des ressources humaines sur plusieurs années
  • la perception par les citoyens d’un gouvernement juge et partie; en gros, c’est comme si le gouvernement en place dépouillait lui même les urnes aux élections et fichait les opinions politiques de ses citoyens
  • la nécessité d’une volonté politique continue
  • tentation de limiter le champs et les modalités de contribution des citoyens pour un output « politiquement correct »

Je soutiens donc sans surprise un approche toolbox basée sur l’existant, avec l’Etat dans le rôle de cadre, d’expérimentateur et d’auditeur/contrôleur. Le système de contribution devrait quant à lui être sous le contrôle d’une fondation indépendante à la gouvernance directe par les utilisateurs du système (pourquoi pas sous tutelle d’un organisme supranational comme l’ONU).

Voilà, curieux de lire le fonds de votre pensée sur le sujet !

Quentin Desvigne
Fondateur - Demodyne

De mon côté, je considère que la seule solution qui donne le coup de pouce nécessaire à la cyberdémocratie est une plateforme étatique.

En effet, la civic tech ne me semble pas en mesure de combler nos attentes. Pour trois raisons :

  1. Nous sommes dispersés dans une myriade de projets en silos, avec peu de moyens (la plupart d’entre nous sont bénévoles) et de nombreux doublons, ce qui divise la communauté d’utilisateurs potentiels (qui ne savent pas sur quelle plateforme aller) et, par là, l’affaiblit.

  2. À part dans certaines collectivités (où les accomplissements sont encourageants), l’absence d’une volonté politique forte de muer nos institutions vers une démocratie réelle bloque les efforts de la société civile en ce sens. En effet, les citoyens (moi y compris) ne perdent pas leur temps à donner leur avis si les décideurs n’en ont que faire (je peux citer des travaux de recherche pour étayer ce point).

  3. Nous manquons d’une gouvernance efficace et démocratique. Démocratie ouverte effectue un travail fantastique de sensibilisation des décideurs, mais ce réseau n’a jamais pris le parti de s’auto-organiser (démocratiquement) pour exploiter les synergies, fusionner les initiatives complémentaires et créer un projet commun reposant sur une vision de long-terme. C’est un réseau ; je milite pour que ça devienne une organisation porteuse d’un tel projet, mais je suis un peu seul, chaque membre étant trop occupé à mener à bien son propre projet.

J’avais fait le même constat il y a trois ans, quand j’ai conçu l’[@gora](http://wegivethe99percents.org/Documents/PRÉSENTATION DE L’@GORA.pdf) : ce document présente un exemple de réseau sociétal regroupant (quasiment) toutes les fonctionnalités proposées par les outils de civic tech au sein d’une plateforme étatique. La généralité des usages possibles y est pensée pour attirer le maximum d’utilisateurs sur la plateforme, la cyberdémocratie ne prenant tout son sens que si la plupart des citoyens l’utilisent. Une telle plateforme, comme vous pourrez le voir dans le document du lien ci-dessus, constitue un projet de politique publique ambitieux. Elle doit être pensée comme politique publique parce que l’État semble le seul acteur à même d’impulser la transition démocratique et de fédérer les contenus grâce à la porté qu’il peut inculquer à sa vision (vision qui se transpose en plateforme prête à l’usage dans l’@gora, mais qui pourrait prendre la forme de normes d’interopérabilité, de schémas d’API, etc.).

Hélas, l’administration a perdu depuis bien longtemps son esprit visionnaire et sa pratique entrepreneuriale. Si ma préférence irait vers cette tradition colbertiste (pour l’efficacité d’une telle option), je propose dans le document une voie médiane, qui ménagerait la communauté des civic tech (qui serait assurément perturbée si l’État reprenait à sa charge son cœur de métier) tout en allant plus loin qu’un simple relais entre la civic tech et les administrations (ce vers quoi s’oriente Etalab).

L’État piloterait la création d’une telle plateforme (cahier des charges, financement), lui permettrait d’utiliser France Connect pour identifier ses membres, et inciterait chaque administration et chaque décideur à créer son compte sur ce réseau sociétal. En tant que bailleur de fonds, l’État pourrait alors faire vivre la civic tech tout en s’assurant qu’elle travaille de façon coordonnée (i.e. sur des outils complémentaires, interopérables et modulaires), et en laissant aux utilisateurs les choix de développement de la plateforme dès qu’elle serait mature (pour répondre à la crainte de Quentin que l’État soit juge et partie).

Adrien Fabre
Contributeur - Demodyne

Merci Adrien, clair et carré comme d’habitude !
Des constats communs, et des solutions moins éloignées qu’il n’y paraît.

1 - Dispersion des outils et des moyens
En apparence seulement, car si le cahier des charges inclut l’open source et une chaîne intégrée de débat-décision-gouvernance, on peut les compter sur les doigts d’une main…
Le choix de soutenir 2-3 outils existants les plus prometteurs solutionne immédiatement le problème. Un outil qui a l’Etat comme partenaire réel (y compris pour les financements et la visibilité) aura vite la masse critique souhaitée.
Lorsque la phase d’expérimentation sera terminée les initiatives avec une philosophie de bien commun fusionneront naturellement - cela peut même être une condition explicite au soutien d’Etalab et de l’Etat en général.

2- Absence de volonté politique
On est bien d’accord, et justement on ne voit pas de grand changement à l’horizon.
Si la « civictech » et quelques initiatives d’exception (Saillans, Kingersheim…) n’avaient pas pris le problème à bras le corps, on en serait encore au point de départ.
C’est aux mouvements citoyens de mobiliser davantage de contributeurs, sans attendre une improbable révolution culturelle spontanée au sein de la classe politique - qui semble se méfier grandement de tout ce qui ressemble à de la démocratie directe. Le seul moyen est de prouver par l’exemple que des citoyens qui co-construisent au lieu de se poser en simples juges d’un bilan sont en fait une bénédiction pour les élus.

3 - cf 1

Au final il y a aussi une cohérence d’esprit: si on cherche à réaliser un système qui fonctionne en « bottom-up », il faut le faire avec des moyens émergents, également « bottom-up ». Cela contribuera à valider le modèle.
Une approche top-down un peu jacobine et autoritaire pourrait peiner à susciter une vraie adhésion organique et agréger un réseau sociétal.

Je suis d’accord sur tout, sauf pour l’aspect supposément négatif d’une dynamique top-down: si c’est quelqu’un de pragmatique qui s’en charge au sein de l’État, une telle supervision apporterait à la civic tech les moyens dont elle manque cruellement tout en respectant les acteurs actuels.
On se rejoint sur ce dernier point : si l’État prenait le sujet à bras le corps, on irait beaucoup plus loin, beaucoup plus vite.

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Hello j’apporte mes 2 cents, mais je suis conscient d’aborder la choses sans avoir l’expérience que vous avez.

Je comprends le but du projet @gora, mais j’avoue qu’un outil centralisé n’est pas la chose qui m’attire le plus. Je pense notamment aux réticence que pourraient avoir certains citoyens sur la garantie de leur liberté, mais également aux réticences qu’auraient certains acteurs de parti d’opposition.

Je trouve aussi qu’un vrai soutient de l’état/ministères, ou de quelques grosses métropoles/régions, à des logiciels libre est une voie plus lente, mais qui a peut être plus de garanti en terme de succès réel.

Je pense aussi que sur des sujets un peu mur, c’est la loi qui devrait garantir des informations minimum à mettre en ligne, avec une vrai volonté d’interopérabilité (les linked open data me semble la meilleure technologie pour ça, avec par exemple une ontologie minimale définie par un comité de standardisation pour chaque domaine), le tout dans un mouvement incrémentai.